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L’AFFAIRE DELIVEROO : VERS UNE REMISE EN CAUSE DU BUSINESS MODEL DES PLATEFORMES DE LIVRAISON ?

Après la requalification en contrat de travail des contrats de prestations de services des « chauffeurs UBER » par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 4 mars 2020, n°19-13.316), le Tribunal correctionnel de Paris vient de condamner la société Deliveroo France à 375 000 euros d’amende pour délit de travail dissimulé ainsi que certains de ses anciens dirigeants à des peines de prison avec sursis.

Il est reproché à l’entreprise d’avoir « dissimulé un grand nombre d’emplois en omettant intentionnellement de procéder aux déclarations préalables à l’embauche et à la délivrance de bulletins de paie, en l’espèce, en recourant à des milliers de travailleurs sous un prétendu statut indépendant via des contrats commerciaux alors que ceux-ci étaient placés dans un lien de subordination juridique permanente à son égard (…) ».

Le raisonnement du juge répressif est en deux temps :

En premier lieu, il a dénié à Deliveroo l’application de la présomption de travailleur indépendant instituée par la législation au bénéfice des « plateformes de mise en relation par voie électronique ».

Pour mémoire en effet, de telles plateformes sont définies par le Code général des impôts (article 242 bis) comme des entreprises qui « mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service ».

Pour que cette présomption puisse jouer, le juge répressif estime qu’il est nécessaire que l’activité de la plateforme se limite à la seule mise en relation des personnes, ces dernières (i) procédant elles-mêmes à la vente de biens ou services et (ii) assurant entre elles la transaction afférente.

Au cas d’espèce, les statuts de l’entreprise prévoyaient de réaliser « la livraison, directement ou indirectement par l’intermédiaire de prestataires de services tiers, de tout produit se rattachant à son objet social, notamment tout produit alimentaire, plats cuisinés, boissons, sans fabrication par la Société ».

Dans les faits, le Tribunal a considéré que la Société ne se limitait pas à mettre en relation le restaurateur et le consommateur comme elle est censée le faire aux termes de l’article 242 bis du CGI pour bénéficier de la présomption ; celui-ci a constaté que :

Le restaurateur et le consommateur n’entraient jamais en contact direct ;

Les commandes étaient passées directement depuis l’application Deliveroo ;

Deliveroo France, par l’intermédiaire de ses livreurs, prenait en charge la commande et en assurait sa livraison chez le consommateur.

Et le Tribunal d’en conclure que Deliveroo France était « une plateforme de services » dont l’activité allait bien au-delà de la simple « mise en relation » et qui, par conséquent, ne pouvait bénéficier de ladite présomption.

Dans un second temps, le tribunal s’est livré à une appréciation classique des critères du salariat afin de caractériser l’existence d’un lien de subordination :

Formation délivrée par Deliveroo : pour évaluer leurs compétences, les « livreurs-candidats » devaient obligatoirement suivre, avant le démarrage de leur prestation, une formation théorique et pratique formalisée par une grille d’analyse précise, fournie et encadrée par Deliveroo France ;

Immixtion de l’entreprise dans l’organisation du travail des livreurs : les process de livraison étaient clairement définis par Deliveroo France, sans aucune marge de manœuvre pour le livreur qui ne pouvait décider de la manière de réaliser son activité ;

Tenue vestimentaire imposée : le port d’une tenue siglée était rendu obligatoire ;

Gestion des absences imposée : les livreurs étaient soumis à un système de connexions obligatoires avec validation préalable interdisant aux intéressés la possibilité de choisir librement les jours, les heures et leur lieu de travail ;

Facturation : celle-ci était centralisée au sein de Deliveroo pour l’ensemble de ses livreurs, à l’instar de l’employeur qui établit les bulletins de paie de ses salariés ;

Surveillance de l’activité des livreurs : le dispositif de géolocalisation caractérisait un véritable pouvoir de contrôle de l’activité des livreurs, les refus de livraison impactant par exemple les possibilités d’inscription sur des créneaux horaires ;

Tarification : impossibilité pour les livreurs de négocier librement leurs tarifs, ceux-ci étant décidés unilatéralement par Deliveroo ;

Exercice du pouvoir disciplinaire : absentéisme sanctionnée par des retenues tarifaires ou encore des rétrogradations dans les shift (appellation du créneau horaire attribué aux livreurs) ; voir la rupture des relations commerciales.
En pratique, les livreurs réalisant un grand nombre de courses et au faible absentéisme étaient privilégiés au regard de leur ranking, au détriment des autres donc (indirectement sanctionnés de leur faible présence), par une primauté sur le choix des jours et des plages horaires travaillées (les weekend étant les plus rémunérateurs et donc les plus prisés).

Sur la base de ce « faisceau d’indices », le Tribunal correctionnel de Paris a considéré, pour caractériser l’infraction de travail dissimulé, que (i) les livreurs devaient être considérés comme étant salariés et que (ii) c’est de manière intentionnelle que Deliveroo France s’était affranchie de ses obligations déclaratives et de l’établissement de bulletins de paie.

Et maintenant ?

Deux séries de conclusions peuvent être formulées :

(i) Les contentieux liés à la requalification d’un contrat de prestation de services en contrat de travail peuvent se jouer en trois étapes :

Au pénal via la reconnaissance d’une situation de travail dissimulée.

Une fois l’infraction pénale établie :

Place au contentieux URSSAF devant le Tribunal judiciaire : la reconnaissance d’un lien de subordination juridique entraine la réintégration de l’ensemble des sommes versées dans l’assiette des cotisations sociales.

Puis des actions prud’homales aux fins d’obtenir : indemnités de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, indemnité pour licenciement abusif, rappels de salaire sur les trois dernières années (notamment non-respect des minimas conventionnels, heures supplémentaires, majorations de salaire pour travail dominical) et  demandes de dommages et intérêts (non-respect des durées maximales de travail journalières et hebdomadaires, non-respect des temps de pause/repos, préjudice liés à la retraite, défaut de formation, etc …).

(ii) Cette décision pourrait mettre clairement à mal ce type de business model, apparemment, largement partagé par les concurrents de Deliveroo

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